samedi 7 novembre 2009

Parenthèse libanaise


La fin du ramadan et l’Eid accordaient quelques jours de vacances et la possibilité de partir pour le Liban et Tripoli. Si le voyage en lui-même fut un échec global, la faute à un temps peu clément et à un « ami » hôte complètement débile, l’occasion se présenta tout de même de découvrir ce pays paradoxal, à la fois proche et si différent de la Syrie, déchiré mais riche et puissant, en apparence au moins.

Il est de fait possible de faire deux lectures diamétralement opposées du pays (tout au moins tel fut mon sentiment). Passez l’Anti-Liban et ne relevez pas les différents barrages militaires peints et frappés du cèdre et des couleurs locales, comme pour réaffirmer une fragile unité nationale ici symbolisée, et le sentiment de sérénité émanant de ce massif montagneux vous subjuguera. Un premier passage à Beyrouth, le temps de changer de taxi pour vous diriger vers Tripoli, et vous aurez l’impression de traverser une capitale européenne, tout au plus amusé par de vieilles Mercos à moitié rouillées reconverties en taxis sortis d’une autre époque.

La traversée de Tripoli vous laisse le même sentiment, circonspect à la vue d’un carrefour sur lequel trône l’inscription « Allah » en arabe, gravées dans d’imposants caractères, à 10 mètres d’un KFC et à deux rues d’un Mac Do. Une soirée dans la zone portuaire et un quartier commerçant à moitié vide produit ensuite une forme de calme imperturbable, à un kilomètre d’un quartier en pleine reconstruction et aux routes aux allures de gruyères géants après les bombardements de 2006. A quelques centaines de mètres, la vie a repris son cours, et d’autres Mercedes, plus récentes celles là, s’affrontent dans des rodéos dignes de GTA.

Il est alors aisé de se laisser aller à considérer un Liban riche et en pleine expansion économique. Impression confirmée par la multiplication de panneaux publicitaires promouvant produits de luxe et ouvertures de city malls dans les faubourgs de Beyrouth. On a alors l'étrange impression de traverser un pays sans identité, fade et perdu dans ses propres paradoxes. Puis on traverse Beyrouth sans passer par le centre ville, où barbelés et trous béants se font concurrence. Et on atteint les quartiers sud de la ville, dont la pauvreté, en rupture avec les premières images de Beyrouth, frappe dans un premier temps, sans toutefois choquer. L'oeil attentif ne saurait en revanche manquer les façades criblées de balles, qui rappellent un passé proche qu'on serait parfois tenter d'oublier. On passe alors devant un bâtiment imposant, siège d’Al Manar, et ressent quelques centaines de mètres plus tard, et pour la première fois, une forme d’identité vivante, de foi en quelque chose. On est alors au beau milieu du fief du Hezbollah.

Direction Sour, ou Tyr. La traduction fait ici plus sens qu’un nom arabe suscitant des image de douceur paisible. A mesure que l’on approche de Tyr, dernière grande ville avant la frontière méridionale du pays, les camps militaires se multiplient, secondés de barricades, de drapeaux libanais, du Hezbollah et d’Amal, et de posters de Nasrallah. La première image de Tyr peut être celle de gens se promenant dans une tranquillité absolue en bord de mer. Ou la vue d’un tank de l’ONU dirigé par les forces sud-coréennes. Un peu plus loin, le passage d’une R5 tunnée rappelle la Mère patrie, le Nord et le Jacky Tuning Club. Puis la R5 repasse, et entre les basses poussées à bloc retentit un discours enflammé de Nasrallah, technique moderne d’entertainment politique en somme. Le long d’une plage, le sentiment de sérénité reprend son cours, la jeunesse locale marchant le long d’une croisette à la sauce libanaise. Sentiment vite balayé si l’on s’aventure à lever les yeux vers les immeubles avoisinants. Les couleurs méditerranéennes de ces buildings sont par endroits discontinues, délimitant d’immenses trous bouchés à la hâte à grands apports de bétons. Preuve s’il en est besoin d’une sérénité passagère, et de perspectives d’avenir serein plus que limitées.

Le centre ville de Beyrouth confirme cette identité paradoxale, déchirée mais tendant à vivre dans le faste, avec une mosquée Hariri se rapprochant de Disneyland, un immonde tour Rolex et un centre ville bétonné, à l’accès restreint, à des années lumières des autres aperçus du pays. Dans le minibus nous ramenant à Tripoli, un vieux militaire nous met en garde « ici, même quand vous êtes en confiance, ne parlez pas, contentez vous d’écouter, on ne sait jamais ». La preuve en image une seconde plus tard, alors que notre interlocuteur évoque à tour de rôle Saad Hariri, Nasrallah et le Hezbollah, mais aussi les dirigeants syriens. Quelques regards pleins d’interrogations se tournent alors vers nous. Il est des mots clés qu’on évite de prononcer ici comme ailleurs, qui plus est dans une langue étrangère.

La fin du voyage nous voyait repartir des hauteurs de Tripoli vers Tartous et la Syrie, dans une Mercedes roulant au rythme de Fayrouz et des rires des chauffeurs, à quelques kilomètres d’affrontements fratricides entre villages chiites et sunnites. Déçu d’avoir vu si peu, mais certain de revenir dès que possible.

samedi 31 octobre 2009

Chouf! Chouf al-Jamal!


Trois mois après un week end d’âpres tractations à Monchy au bois, forme de Camp David moderne revisité à la sauce locale, Pauline et moi avions désigné Pétra comme notre futur point de rencontre. Si le week end monciaquois avait été mouvementé, ces dix jours le furent tout autant.

Part 1 : Pétra et chips au lebneh

Le premier jour à Pétra fut relativement écourté du fait des effets particulièrement joussifs (et appréciés à leur juste valeur) d’une sévère insolation. Possibilité nous a néanmoins été offerte de nous sentir l’espace d’un moment dans la peau de Nic’ et Carla, face à au monument phare de Pétra, la Kazneh. Ce moment aurait pu être magique si une touriste (dont le courage immense et les encouragements suintants de ses amis sincères l’avaient poussé à monter sur un chameau) n’avait pas sonorisé la vallée de cris perçants et usants, tout en donnant à la scène des tons d’accouplement bovino-camélidé. Malgré cette expérience lourdingue bien qu’enrichissante pour la science, nous avons toutefois pu profiter du site dans un calme relatif (sentiment généré par l’immensité du site, et par la concentration des touristes sur les quelques monuments très connus). Le peu de cas fait de la préservation du site nous permettait par ailleurs d’avoir accès à tout et n’importe quoi, des sommets de la cité à l’intérieur des tombes… Jordanian Style : pas de barrières ni de guides, pas de conservateurs ni de policiers actifs ; on ne saurait s’en plaindre (en revanche le site risque de faire la gueule, dans un futur relativement proche). Les façades et autres constructions imposantes et millénaires se succèdent, produisant une sensation de poids du temps, de majesté et de puissance de ces mêmes bâtiments, certaines façades étant construites à plusieurs dizaines de mètres du sol.

L’autre avantage du site étant la possibilité de s’écarter de la masse touristique pour marcher aux alentours et découvrir d’autres paysages sympas (genre ça, ou ça). Possibilité pour nous également de montrer notre potentiel de chèvres/boucs grimpant et sautant de rochers en rochers. Un point pour moi dans ce domaine.

La sieste étant ici comme ailleurs une obligation vitale pour chaque individu, nos plans de marches vers les sommets de Pétra et le Monastère, autre monument phare, se virent compromis le deuxième jour, le soleil se couchant peu après 5 heures. Après un entêtement paulinien, nous montons tout de même pour finalement suivre le coucher de soleil du haut de Pétra, en face du Djebel Harun (Aaron, du nom du pote de Jésus, qui y serait enterré. Amis païens, bonsoir). Rencontre improbable avec un bédouin qui vit ici (par ici j’entends : sur les sommets de Pétra, au milieu des montagnes, au milieu de rien donc) avec lequel s’ensuit une longue discussion sur le sens à donner à une vie, et l’harmonie comme vecteur directeur de toute action. Après cette discussion relativement troublante, la descente sur Pétra se fit sous la pleine lune. Et…surprise… quand nous arrivons sur le site lui-même : il n’y a plus personne, ni touriste ni policier, juste quelques bédouins qui vivent à même le site et nous invitèrent à boire le thé et à jouer du oud). Nous avons donc fait Pétra by night à deux, sous une lumière suffisante pour distinguer clairement les façades… 1-1.


Part 2 : Wadi Rum et traversée du désert


La deuxième partie de notre épopée jordanienne nous amenait au milieu du désert, dans un camp bédouin au milieu du Wadi Rum, région désertique au sud de la Jordanie. Le cadre en lui-même se révèle rapidement magnifique, l’immensité désertique prenant des teintes diverses, du rouge ocre au jaune, en passant par des tons bleus mauves (en fait je parlais du sable, pas des roumaines rencontrées au milieu du désert), dans lequel se perdent canyons et autres masses rocheuses semblant un peu pommées au milieu de nulle part.

Le paroxysme de ce séjour au milieu du désert devait être une ballade en chameau…Une fois encore, nous n’avons pas été déçus. Forcément, le chamelier me refile la bête la moins maîtrisable. Et une cravache pour la faire avancer. Ayant une grande expérience en matière d’équitation, comparé à Pauline, j’étais particulièrement à l’aise dès le début. Quelques kilomètres plus tard, nous nous faisions toutefois au rythme balançant de nos montures et commencions à faire preuve d’une aisance certaine. Nous mangeons au milieu du désert, Pauline se fait mettre à l’amende à la bataille du pouce par un gosse n’ayant jamais joué, normal. Et là, c’est le drame. Peu après la pause déjeuner, le chamelier décide de laisser reposer les chameaux pour aller voir une source d’eau un peu plus loin sur une petite montagne (admirez la description précise). Dépité, j’assiste alors à la fuite des chameaux, se défaisant à une vitesse impressionnante de leurs liens pour partir gaiement, et rentrer au village. La relation amoureuse développée avec mon chameau lors de la marche du matin lui donnait quand même quelque remords, et c’est avec résignation et amour qu’il revenait vers moi, laissant le chameau de Pauline disparaître à l’horizon. Il est ici important de dire que si mon chameau s’était aussi enfui, nous aurions certes été pommé au milieu du désert, mais nous aurions aussi perdu eau, appareils photos, et surtout passeports… Toutefois, dans un élan de galanterie, je laissais mon nouvel ami à Pauline, et n’avais plus que mes pieds pour marcher sous ce climat tellement accueillant. Inutile de dire que je transpirais la joie, pendant que dans un élan de solidarité et de générosité, Pauline prenait des photos d’elle et me tendait amoureusement de l’eau croupie. Le retour au camp fut salutaire, occasion pour nous de faire la sieste et de rater le coucher de soleil. Plutôt bien joué quand on sait que le camp s’appelle le Sunset camp et se targue d’être le meilleur poste d’observation pour le coucher de soleil de tout le Wadi Rum. Wallah on n’est pas des touristes nous. Après ces émotions, départ pour la mer Rouge.

Part 3 : Aqaba, coups de soleil, coquillages et crustacés


Après deux jours de crasse au milieu du désert, notre désarroi et notre malheur nous conduisait vers la mer Rouge. Un temps affreux : pas de nuage, un vent de mer rafraichissant et seulement 35°… Bien qu’unanimement désignée comme la ville la plus laide de Jordanie, nous décidions de faire avec et passions quelque jours d’ennui, partagés entre piscine, plongée sous marine, ballade en bord de mer, restos (toujours pas de porc, crise en approche) et snorkelling : retour à la vie européenne le temps de quelques jours… Miskin comme on dit ici. Pas grand-chose à ajouter au sujet de la ville en elle-même, qui est réellement moche, bien trop industrialisée (on dirait Calais avec la mochitude de la côte en moins), et qui plus est proche du pays qui n’existe pas. Toutefois le récif corallien, plutôt en bon état (enfin semble en bon état, mes capacités de jugement étant relativement faibles), et les quelques épaves visibles et faciles d’accès offrent des paysages sous marins magnifiques, qui viennent clore en beauté un séjour rêvé.

samedi 24 octobre 2009

Arrivée à Damas : grosse perf'


[Message écrit à chaud le 13 aout, quelques heures après mon arrivée...]

Après un mois passé à Sana’a, Damas me tendait les bras, pour de nouvelles aventures. Autant dire tout de suite que le voyage lui-même ne fut pas de tout repos. Départ prévu à 8h, vol Sana’a-Damas, toujours avec la compagnie Yemenia, donc départ prévu vers 5 heures du collège où j’étudiais alors.

L’histoire ici requiert une rapide mise en contexte. Le staff de l’YCMES ayant prévu une improbable soirée déguisée/jeu de rôle, la nuit s’annonçait courte. La population de l’YCMES comptant par ailleurs une branche représentative de binge-drinkers dégénérés, la soirée s’annonçait longue et mouvementée.

Le thème « cow-boy » de la soirée me donnait la brillante idée de me raser en laissant deux immondes rouflaquettes pendouiller de part et d’autre de mon visage, et de parfaire ce déguisement improvisé par une bonne dose de gel maintenant mes cheveux en arrière, produisant un style gras-luisant des plus sexys. Je passerai sur la soirée en elle-même, pendant laquelle l’épreuve majeure fut de résister aux verres offerts afin de survivre aux épreuves du lendemain. Un mouvement collectif improvisé nous faisait alors prendre la direction du club russe évoqué dans l’un des précédents articles. Après que l’on nous ai signifié que nous ne rentrerions pas sans passeports et que le garde (oui, garde : un vigile a rarement une kalachnikov a la main) ait émis de sérieux doutes sur l’identité d’une des filles (toujours déguisée en cow/call-girl) et sur sa nature de prostipute (flatteur, elle apprécia), première difficulté administrative, bien que minime. Aller retour au collège pour prendre les sacrosaints passeports donc. La soirée dure, dure. Et le temps passe, passe. A 3h, un éclair de lucidité m’amène à prendre le chemin du retour, pour finir ma valise. Bouclée à 4h30, et après de larmoyants adieux, départ pour l’aéroport.

N’ayant pas eu le temps de me doucher ni de me changer (le Yémen, ça vous gagne), j’étais, comme qui dirait, beau comme un camion : chemise qui pue la clope, rouflaquettes dégueulasses, coupe de cheveux new-style après avoir tant bien que mal essayé de virer l’immonde couche gélatineuse (semi-échec), et chaussures de marche aux pieds pour alléger la valise. Une illustration parfaite des expressions « avoir de petits yeux » et de la non moins célèbre « avoir la tête dans le cul » suffiront à vous dresser un tableau relativement fidèle de l’état dans lequel j’espérais arriver à l’aéroport. J’espérais oui… Alors que je somnolais à moitié dans le pick up qui m’emmenait vers le grandiose Sana’a International Airport, un choc violent me réveillait et m’arracher un retentissant « putain » de circonstance. Une jeep militaire (russe à première vue, agrémentée d’une mitrailleuse tirant des balles de la longueur de ma main) venait nous emboutir avec allant et générosité. Voiture pliée, tronche hébétée : voyage bien commencé !

Dans une atmosphère assez surréaliste, je rallie donc l’aéroport à pieds, avec mes sacs et leurs 40 kilos, un état de forme paralympique et un sentiment de ras le bol qui commence déjà à poindre. Arrivée à l’enregistrement dans un aéroport vide : « you have ticket ? ». Présentation du ticket. «Ayi mushkillah ??? » « I don’t see you on my computer ». Tête abbatue. Après un bref passage au comptoir de Yemenia, j’apprends que mon billet a été annulé, « it is an error, I am sorry ». Bonne nouvelle. Deuxième gros sentiment de solitude quand ma valise est pesée, que je m’aperçois que j’ai 7kg de surpoids. Et que le guichetier ne relève même pas. J’ai alors apprécié les deux heures passées à jauger ce que je devais/pouvais laisser à Sana’a pour ne pas avoir à payer une surtaxe trop importante.

Enfin, je me dirige vers la salle d’embarquement. Dans laquelle, bien sûr, aucun panneau n’indique où et quand partent les avions. S’ensuit un chassé croisé dans le hall pour finalement apprendre qu’une seule porte fonctionne et que les avions sont donc chargés vol après vol (…). Après tout ça, la vue de câbles pendant sous les ailes de l’avion de manière suspecte ne m’arrachait plus qu’un soupir, tout comme le fait de se retrouver à côté de la porte de secours dans l’avion, et de sentir cette même porte trembler pendant tout le vol. Je privilégiais alors l’option « je me rapproche du gros saoudien suant », et m’éloignais au maximum de la porte, répondant à un simple (mais malheureux pour mes cellules olfactives) instinct de survie.

Après ces premiers épisodes, ENFIN j’arrive à Damas, et commence ENFIN à sourire. Pas trop longtemps quand même. Fort de l’affirmation de l’ambassade française à Damas qu’il est possible d’obtenir un visa à l’aéroport, je me présente au guichet avec mon passeport flambant neuf, et orné d’un seul et unique visa yéménite. Mon optimisme chute rapidement quand le douanier me dit que non, on ne donne pas de visa à la frontière. A ce stade là, la force même de jurer a disparu, remplacée par des envies de meurtres. Après avoir passé presque deux heures dans les bureaux de l’immigration (aussi sexys que les commissariats yéménites, seul le président dans les milliers de posters agrafés sur le mur a changé), j’obtiens un visa d’un mois, non prolongeable… On verra plus tard. Pendant ce laps de temps, les bagages de mon vol ne sont plus sur le tapis roulant, bien sûr… Je demande à un bagagiste. Qui de manière évidente savait, mais voulait mériter un bakchich. Je fais donc le tour de la salle avant de m’apercevoir moi-même que ma valise était sur le côté, là où j’étais entré. Après avoir tenté de me débarrasser de l’envahissant relou (et l’avoir arnaqué en lui donnant des riyals yéménites…donnant donnant, arnaqueur arnaqué : je reprenais des couleurs), je sors de l’aéroport pour appeler l’hôtel réservé par mail depuis le Yémen. Bien entendu, ma réservation a été elle aussi annulée, et plus de chambres disponibles.

Dans un élan de naïveté, je monte dans un taxi pour Damas, et lui demande s’il connait un hôtel pas cher, n’ayant plus le courage ni la patience de chercher par moi-même. A posteriori, j’aurai du me forcer. Délesté d’une somme parisienne pour le taxi et propulsé dans un hôtel à la façade se voulant ressemblante à un chateau fort (avec dans le role des chevaliers Saladin, Geronimo ou encore une forme de Davy Crockett arabisé), je commençais mon séjour en Syrie de la meilleure des manières. Et allais me coucher directement, au moins aussi puant que mon voisin saoudien du vol Sana’a-Damas… Des débuts rêvés donc.

Edit : la positivitude qui se dégage de ce message est due à l'écriture à chaud... Relativitude à venir.

Sana'a - Aden : résumé en photos

Peu de temps pour écrire depuis mon arrivée (disons que, pour protéger nos intérêts communs, c'est l'excuse que vous aurez à retenir) à Damas... Je me contenterai donc de quelques photos pour combler le vide! Résumé en photos d'abord d'un road trip excitant et... surprenant... de Sana'a à Aden, capitale sudiste aux vélleités séparationnistes.

Voyage de tout repos. 15 minutes après avoir quitté Sana'a, premier check point. Simple formalité annoncée qui se transforme rapidement en lourdeur administrative de plusieurs heures. Des manifestations ayant lieu dans les alentours d'Aden, interdiction pour nous de passer. Apres moultes négociations, destination finalement confirmée. Le voyage se fait donc sans encombres...Avec la désagréable sensation tout de même d'avoir une cible dans le dos avec écrit "touriste, shootez moi", sensation générée par le sympathique soldat juché sur une mitrailleuse relativement intimidante dans la jeep militaire qui nous suivait. Soldats prévenants, qui nous accompagnèrent jusqu'aux toilettes aux approches de Dam'ar, sorte de supermarché pour Al Qaeda et affidés, où l'on trouve haricots, fêves et fruits. Mais aussi lance roquettes et kalachnikovs, à des prix défiants toute concurrence!

Expérience yéménite oblige, on ne s'offusque pas, circulez ya rien à voir... Ambiance totalement surréaliste en réalité, au beau milieu de paysages magnifiques et divers... [je raconterai et publierai d'autres photos dans les jours à venir...]

Départ de Sana'a pour Ta'ezz, à mi chemin entre Sana'a et Aden.
De Yémen fin
De Yémen fin
(Admirez au passage l'habileté et l'acharnement du mâcheur de qat, on air H24, 7j/7, n'importe ou)


Arrivée à Aden le lendemain...Aden, ville moderne
Et accueillante
De fait, on se fond dans le paysage. Vous constaterez ici que je n'ai pas changé physiquement.


Enfin retour de nuit vers Sana'a, sous l'oeil bienveillant de nos amis soldats.







mercredi 5 août 2009

Qat : le tester c'est l'adopter?

Si la loi islamique se montre particulièrement peu clémente à l'égard de la consommation de quelconques substances déshinibantes, elle n'empêche pas le développement exponentiel du qat au Yémen, mais aussi dans une moindre mesure dans les pays du Golfe et de la Corne de l'Afrique. Au contraire, les feuilles séchées du Catha Edulis ont de beaux jours devant elles. Au vu de l'omniprésence de ces sachets verts, un bref descriptif s'impose.

Il faut d'abord imaginer que toute la population yéménite, ou presque, machouille ces feuilles à longueur de journée (mais surtout en fin d'après midi), faisant de cet instant une communion nationale. Car oui, de 10 à 70 ans (99 ans me parait un peu optimiste, dentition et espérance de vie ayant à être pris en considération), tout le monde (c'est à dire la gente masculine, les femmes n'en consommant que très peu et presque uniquement pendant les mariages) consomme, et donc achète, du qat.

Interdit en France depuis 1957, on peut ici s'en procurer légalement dans les souks comme sur les aires d'autoroutes, et plus globalement sur n'importe quel trottoir, les marchants ambulants étant légion à Sana'a. On vous vendra un sachet pour un prix variant de 300 à 500 riyals yéménites (soit à peu près 1€), pour 200 à 400 grammes. Il vous suffit en somme de prononcer qat (autrement écrit khat, prononcez "gat") dans la rue pour en trouver. Vous aurez alors en votre possession une floppée de branches verdoyantes au délicieux goût d'herbe fraiche, qui ne manquera pas la première fois de vous donner la sensation d'être un herbivore acérébré.

Il ne s'agit toutefois pas de vulgairement brouter ces feuilles; le processus est en effet autrement plus sophistiqué. Une brève discussion gestuelle avec le marchand (vous apprécierez le coup de main sale) fera de vous un expert en la matière, et très vite vous aussi pourrez afficher une mystérieuse excroissance au niveau des zygomatiques.



Précis de consommation de qat

1° - Sélectionnez sur chaque branche les plus petites feuilles, les plus sèches
2° - Pincez la feuille entre vos doigts, de manière à la nettoyer rapidement (hypocondriaque, passe ton chemin)
3° - Machez rapidement la feuille (2 ou 3 coups de molaires suffiront).
4° - Stockez la feuille dans le creux de votre joue
5° - Répétez le processus jusqu'à former une boule de qat, et à avoir une joue difforme et douloureuse

Conseils : pour faire passer la douleur et humidifier l'espèce de boule immonde qui se forme dans votre bouche, il est conseillé de boire, plutôt du soda que de l'eau. Le voyageur téméraire pourra alors tenter d'imiter le yéménite professionnel, qui parvient à boire et à stocker le soda dans l'autre joue, sans inonder ni avaler le qat.

En somme, pas de mot en français pour décrire ce rituel bien huilé. L'anglais dira "chew qat" (=macher) lorsque l'arabe précisera "ourazel" (=stocker). Une fois le processus assimilé, les effets se font attendre. Il faut en effet compter 2 à 3 heures de machouillage pour ressentir un quelconque effet. Il est donc d'usage de se retrouver dans un salon pour une défonce collective, autour de longues discussions, de tasses de thé, voire de danses et de chants pour les plus chanceux. Navré de décevoir les junkies de passage, l'effet est très limité : concentration accrue, simulacre d'hypertension, pupille dilatée et éventuellement légère sensation de planage (comptez alors 3-4h de machouillage, personnellement non ressenti); les effets d'un café fort en somme. Les conséquences de l'accoutumance au qat sont néanmoins bien plus importantes, soulageant la faim et la fatigue, causant hallucinations, troubles du sommeil et disparition à long terme de la libido (les on-dit vous apprendront ainsi qu'un marchand attentionné pourra ainsi vous proposer du viagra avec votre sachet, là encore, désolé de vous décevoir mais non vérifié).

Si les conséquences pour l'individu peuvent décevoir, les conséquences "macro" du qat sont autrement plus dérangeantes. Tabac et qat se partageant grosso modo les terres arables, la majorité des ressources en eau passe dans l'irrigation des plants. Derrière les paysages enchanteurs et le côté potentiellement amusant de cette tradition se cache ainsi une réalité bien plus noire. Prisé par l'ensemble de la population, la demande en qat est très importante. L'accoutumance joue par ailleurs un rôle pesant : opter pour une redistribution des terres créerait sans aucun doute des tensions... Un virage en ce sens apparait cependant nécessaire, afin de faire de l'économie d'importation actuelle une économie tendant à subvenir aux besoins (bien que faibles) de sa population. Si le qat n'est bien évidemment pas le seul fléau faisant obstacle au développement du Yémen, il n'en est pas moins une des causes majeures.

Une dimension singulièrement cynique se juxtapose à cette analyse de comptoir lorsque l'on observe que la production de qat a été incitée par les différents gouvernements du Yémen (Sud et Nord). D'ici à dire que d'obscurs intérêts politiques sont à l'origine de ce déséquilibre économique, il n'y a qu'un pas que l'on ne saurait bien évidemment franchir... Différentes analyses historico-politiques vont même plus loin, affirmant que les effets de la consommation de qat sont plébiscités par le pouvoir, car limitant toute action politique. Il vient en effet difficilement à l'esprit d'un camé d'aller manifester ou de contester... Les salaires générés par la production de qat étant par ailleurs plus élevés que la moyenne nationale. L'accoutumance au qat serait ainsi une bénédiction pour un gouvernement voulant agir les mains libres, plaçant sous son aile une population amorphe et en manque, à la recherche de la dose tant désirée. Situation dont les différents leaders tribaux et les autorités politiques peuvent tirer un pouvoir contraignant sur la population. Mais cela ne nous regarde pas...

samedi 25 juillet 2009

Perceptions


"Sarkozy, like Bush, no good. Chirac, wonderful".

Croisé au détour d'une rue, par hasard, au cours d'une ballade qui nous voyait perdus dans la vieille Sana'a, un ancien pilote de chasse de l'équivalent yéménite de la RAF me résumait de cette manière, brève mais concise, le point de vue yéménite sur la scène politique internationale.

On serait tenté de dire oui. En émettant néanmois quelques doutes sur les réalisations de notre WonderfulJacques. Rien d'étonnant finalementeut égard aux différentes initiatives (je vous accorde qu'initiatives et Chirac puissent sembler antonymiques) prises par Chirac au du Moyen Orient, notamment le refus de participer à l'offensive en Irak ("good for everybody"). Ici comme à Ramallah, le chiraquien est donc une espèce appréciée, bien qu'en voie de disparition. A l'inverse, le partisan de notre Inutilissime Nabot ferait bien, une fois n'est pas coutume, de taire ses préférences politiques. "Like Bush", il apparait difficile de faire plus explicite. Car oui, coup dur pour le moral de Nico, et motif d'exaspération nationale supplémentaire, la France est ici perçue comme la marionnette des Etats Unis de Bush depuis son couronnement. Vous pouvez toujours dire que vous êtes encartés au PS par contre: ici comme en France ça n'a aucun sens ni incidence et tout le monde s'en tape. Les restes de la scène politique française restent quant à eux globalement obscurs. Globalement, les sujets politiques sont de toute façon très peu débattus entre étrangers et yéménites...

Actuellement, le français a d'autant moins la côte que se répand l'idée selon laquelle l'avion de Yéménia s'est crashé après avoir essuyé des tirs hasardeux de la marine française. Gros titres dans la presse la semaine dernière : "Blame the French". Si ce qui n'en est qu'au stade d'affabulation délirante s'avérait être vrai, alors nous Français avons de quoi être fiers. Deux siècles après Trafalgar, avec nos porte-avions poubelles et nos tirs aux pigeons, nous allons à nouveau être craints sur les mers.

Il est à l'inverse intéressant de noter qu'à l'instar de Sarkozy, "Obama like Bush too". Nouveau coup dur pour l'optimisme occidental. Malgré des promesses probantes (celle de ne plus faire de chèques en blanc à Israël par exemple) et des discours écoutés et entendus comme celui du Caire, le nouveau président américain aura fort à faire pour redorer le blason de sa nation. La politique de son prédécesseur a fait un tel tabac au Moyen Orient qu'il faudra probablement plusieurs décennies (ou un geste fort à l'encontre d'Israël, qui ne saurait arriver) à Obama et ses successeurs pour rétablir l'image américaine dans cette région du monde, si tant est qu'ils en aient la volonté, ou la capacité d'ailleurs. En attendant, le tryptique Bush=Sarkozy=Obama est un verdict dur à assumer pour ce dernier.

"En tant qu'ONG, nous nous devons de faire le lien entre le local et l'échelon supérieur : nous agissons donc au niveau du monde arabe et au niveau international"

Un mot donc sur l'identité arabe, et sur l'identité musulmane, qui ici se superposent (tout au moins géographiquement). L'identité arabe est ainsi considérée comme une forme de foulard rouge déjà beaucoup trop agité par les leaders politiques arabes pour servir des intérêts nationaux; mon interlocuteur s'empressait ici de citer Nasser. L'identité, et l'unité arabe a toutefois longtemps fait sens au Yémen, notamment au Nord, qui formait, bien qu'on tende à l'oublier, la République Arabe Unie avec la Syrie et l'Egypte en 1958. Et finalement, si l'on tend à considérer au sein des élites yéménites que la scène nationale ne s'arrête pas à la frontière saoudienne mais aux frontières fluctuantes d'un "monde arabe" aux contours incertains, ce concept-repère perd peu à peu de sa crédibilité, perçu comme un instrument de manipulation de la population.

L'identité arabe reste toutefois une donnée implicite, que chaque yéménite, et par extension chaque arabe, porte en lui comme une valeur intrinsèque, mais cette donnée n'a plus la dimension mobilisatrice qu'elle a pu avoir. Cette capacité de mobilisation semble désormais être l'apanage des porte-voix de l'identité musulmane, qui serait désormais perçue comme plus pertinente pour envisager le sentiment d'unité des pays du Machrek et de la Péninsule Arabique. NB : le point de vue ici exposé est celui entendu lors de différentes discussions avec des "élites" yéménites; ma capacité à parler de tels sujets avec quelqu'un ne parlant qu'arabe reste pour le moment limité. Or personne ne parle anglais/français ici, élites mises à part donc.

Voilà, rapide tour de ce que les gens pensent et perçoivent ici. A noter que pour un pays présenté dans les médias comme une dictature sanguinairo-terroriste, le débat politique est particulièrement vivant, ou le semble tout au moins. Rares sont les murs en dehors de Sana'a à ne pas être frappés des symboles politiques des deux partis nationaux; deux chevaux cabrés se faisant face pour le parti du président (General People's Congress, al-Mo'tamar ash Sha'by al-'Am), et un soleil rayonnant évocateur pour le parti islamiste réformiste (al Islah). Si la discussion politique reste inaccessible pour un étranger (aucun sens à demander à un chauffeur de taxi ce qu'il pense du président, il ne vous répondra pas), il est amusant, intéressant, de mesurer l'engouement populaire généré par le débat politique. Cet engouement étant (lui aussi) en voie de disparition en France...

lundi 20 juillet 2009

En ces temps là j'avais 20 ans


Malgré mon exil yéménite, Pierre Bachelet reste tout de même un passage obligé. Normal. Promis, je n'épiloguerai pas sur le symbole du pseudo-cap des 20 ans, pas d'épuisante tirade prétentieuse, chiante, banale et donc inutile. Donc ça, c'est fait. Je profiterai plutôt de l'occasion pour vous décrire les différentes options qui s'offrent aux occidentaux en mal de sensations bien peu haram.

Le Yémen a beau être un pays accueillant, ne délirez pas non plus: l'accès à l'alcool, aux drogues ou à tout autre instrument de perdition reste fortement prohibé. Votre seule et unique chance de vivre à l'occidentale (non, je n'ai pas dit dépravée), paradoxalement, est d'aller vers la population yéménite. Par aller vers la population, j'entends se lier d'amitié avec des yéménites; je doute qu'aller vers un quidam et lui demander du haschich soit une bonne idée. Vous pourriez malencontreusement tomber sur un légaliste, et dès lors apprendre à vos dépends que tout voyageur est soumis à la loi islamique.

Ces liens d'amitié pourraient, à l'inverse, vous amener à fréquenter un restaurant chinois caché sous un supermarché. Qui n'a de chinois, et de restaurant, que le nom. Pour des prix avoisinants les tarifs européens, vous pourrez alors assouvir vos pulsions, éthyliques ou autres. Toutefois, dans le souci de préserver votre intégrité physique, je vous conseille sérieusement de fumer/boire en privé.

Enfin, l'autre possibilité est de fréquenter un institut où l'on enseigne l'arabe. Non pas que l'institut en question soit un repaire de dépravés. L'avantage de l'institut est plutôt d'offrir la possibilité de rencontrer des gens de tous horizons.

Eventuellement des Marines américains. Qui vous ouvriront les portes de l'ambassade américaine pour participer à un barbecue avec les Marines en poste à Sana'a. Si vous en avez la possibilité, foncez. C'est l'occasion de voir qu'aujourd'hui encore, on construit des chateaux forts. l'ambassade américaine étant un modèle du genre. Construite sur 200 ou 300 mètres, cachée derrière un imposant mur d'enceinte, le long d'une rue barricadée, entre deux ponts levis (true story) qui se referment autour de toute voiture entrante pendant la vérification des papiers. De part et d'autre de la rue, des jeeps en mode camouflage avec mitraillette intégrée, bardées de soldats yéménites dans des treillis jaunes et marrons particulièrement seillants. Une fois passées ces formalités, on franchit un mur de 10 mètres pour finalement atteindre l'ambassade, 300 mètres derrière le mur en question. Bref. J'ai donc eu l'honneur de participer à une soirée barbecue dans la maison des Marines US. Ambiance franche camaraderie, très mâââle en fait, lumière tamisée, très alcoolisée, très bizarre. Mais marrant. Confirmation que la bière américaine est bel et bien dégueulasse. On pourrait résumer la soirée en une phrase : une bande de soldats dans tout ce que la condition peut avoir d'obtus, lourdingues au possible, ivres au possible et excessivement proches les uns des autres (le terme exact semble être : "beauf"), vous excluant de fait de l'ambiance. Heureusement, certains dérogeaient à ces raccourcis un peu faciles, faisant de cette première partie de soirée une expérience...amusante.

Acte 2. Après cette première étape, départ pour une boîte russe. Normal. Là encore, russe dans tout ce que le mot peut susciter de glauque dans l'imaginaire commun. Plus de prostituées que de clients, une piste de danse aux multiples poteaux de strip-teaseuse, une lumière rouge over-tamisée, une espèce de tapisserie horrible en velours, une odeur insistante de vodka. Ne manquaient que les marchands d'armes. En effet, en plus des quasi-esclaves somalo-éthiopiennes, le club rassemble, en vrac : quelques vieilles croûtasses européennes en manque de sexe, des gigolos yéménites au déhanché incertain, et plusieurs immondes pervers étrangers, jetant sur la population féminine un regard invariablement lubrique à faire frissonner (puis vomir) les plus cyniques d'entre nous. Ajoutez à cela une musique genre années 80. Et vous obtenez un cocktail type Günther en mode non autodérision.

Conclusion : le Yémen est définitivement un pays aux ressources improbables, où vous pourrez organiser une soirée depuis un restaurant chinois jusqu'à une boîte russe, en passant par une soirée chez les Marines, entre business, "force vive mais aveugle" et débauche...

jeudi 16 juillet 2009

Sana'a al-Qadima


N'en déplaise à l'ambassadeur français, Sana'a est clairement l'une des plus belles villes du monde, et je vous conseille vivement d'y venir. Commencez par la Vieille Sana'a (Sana'a al-Qadima), conservée et préservée de toute intrusion architecturale moderne, uniquement composée d'anciennes bâtisses aux accents orientaux prononcés. Les frasques des Mille et Une Nuits se fondraient parfaitement dans le décor, et on imaginerait sans peine l'apparition d'Aladdin à un coin de rue.

Encerclée de hautes montagnes de pierre et de lave (la ville est construite dans une forme de cuvette), parsemée de jardins, de potagers et de mosquées aux contours finement ciselés, la ville dégage ainsi une forme de sérénité, de force tranquille et de noblesse, que l'on ne ressent que difficilement dans les différentes capitales occidentales ou occidentalisées. La très grande majorité des bâtiments (pour ne pas dire tous, particulièrement dans la vieille ville) sont construits sur d'imposants murs de briques et de plâtres, qui donnent à la capitale yéménite des teintes ocres, blanches et rouges charmeuses, voire envoutantes. Ce genre d'architecture n'est par ailleurs pas propre à Sana'a; on le retrouve dans l'ensemble du pays.

La sérénité dégagée par la ville de par son architecture n'est par ailleurs pas une illusion: le sentiment de sécurité est une réalité concrète, sentiment par ailleurs partagé par l'ensemble des étudiants. On se sent bien plus serein à Sana'a que dans certains quartiers parisiens, de jour comme de nuit. A noter que le vol de la valise le premier jour (voir les articles précédents) est d'autant plus regrettable que ce genre d'incident ne se produit pour ainsi dire jamais dans les pays arabes, le vol étant un phénomène particulièrement rare, voire inexistant car synonyme de honte et de déni par le reste de la société.

Par ailleurs, et au risque de vous décevoir, vous ne verrez pas de terroristes bazooka sur l'épaule, ni d'enfants jouant avec des bombes, et vous ne ressentirez ni haine ni mépris dans les yeux des yéménites. Au contraire. Je vous déconseille toutefois de tenter de convertir les gens au christianisme/judaïsme ou autre religion. De la même manière, si vous parvenez à réfréner vos pulsions, c'est à dire à ne pas vous ballader nus, en crachant par terre ou en criant votre amour pour Sarkozy/Bush (article à venir) et votre haine du pouvoir yéménite (...comme en France à vrai dire...), tout ira bien. Sinon, en effet, quelques tensions peuvent éventuellement poindre. Autrement, Sana'a et le Yémen en général, pour autant que j'ai pu le constater sont bien plus accueillants que certaines contrées françaises.

Autre avantage non négligeable de Sana'a: le touriste con ne court pas les rues; le touriste tout court non plus d'ailleurs. 24 personnes dans le vol Paris-Sana'a pour 250 places (12 personnes ne faisaient qu'une escale avant de rallier Djibouti, nous étions 10 étudiants, et il restait donc deux seuls pékins en vacance...certes, il faut prendre en compte le crash de Yéménia, mais cela semble être une constante), et deux malheureux touristes croisés en une semaine. C'est donc l'occasion de VRAIMENT découvrir une nouvelle culture. Et de vous mettre à l'arabe, l'anglais n'étant que très peu parlé dans la capitale (élites mises à part je suppose), et l'étant encore moins dans les montagnes et campagnes. Le touriste envahissant devra donc composer avec d'incertains "hello", "how are you", "i love you", voire "fuck you" s'il se montre persévérant.

En somme, viendez.

mercredi 15 juillet 2009

Allah, al Watan, al Thaoura

(Allah, la Patrie, la Révolution)


/!\ Article sérieux /!\

"Arabia Felix", Arabie heureuse... Réalité désormais lointaine pour le seul pays arabe classé parmi les PMA, ayant subi une longue et douloureuse transition qui a fait du richissime royaume de Saba une forme de "second Congo" dans les années 60-70. [NB: le Yémen, c'est ]

Eclatée, jusqu'à la révolution au nord (1962) et à l'apparition de guérillas au sud (1957), entre un Nord Yémen (autour de Sana'a), imamat dominé par l'imam Ahmed bin Yahya (1948-1962), et un Sud (autour d'Aden) dominé par l'Empire britannique, la situation géopolitique yéménite annonçait en réalité déjà toutes les difficultés à venir.

Les années 60-90 voyaient en effet perdurer cette division initiale, entre (rapidement) un Nord tribalo-monarchique d'orientation islamique soutenu par Nasser et organisé en République Arabe du Yémen en 1962, et un Sud néo-colonial dominé par les britanniques et financé par l'Arabie Saoudite jusqu'en 1967 (grosso modo), avant de tomber sous le joug de l'Union Soviétique et de créer la République Démocratique Populaire du Yémen en 1970 (malgré une certaine permanence ambigüe de l'influence saoudienne). Terrain de jeu pour la lutte d'influence égypto-saoudienne, essuyant un conflit colonial au sud et des conflits tribaux au nord, le Yémen du XXe siècle est donc à feu et à sang jusqu'à une réunification improbable.

En conflit permanent (concret ou non), les deux Yémen ne se réunifient ainsi qu'en 1990, constituant la néo-République du Yémen, placée sous l'égide d'Ali Abdullah Saleh (dont le mandat court toujours). Présenté comme un Etat terroriste par les médias occidentaux, le Yémen est aujourd'hui partagé entre une nécessité de s'intégrer à la scène politique internationale et des positions mal digérées sur le plan international (soutien à Saddam Hussein lors de la guerre du Golfe malgré les pressions saoudiennes).

Saleh a en ce sens tenté a plusieurs reprises de marquer un rapprochement avec les Etats Unis (particulièrement difficile à maintenir, voir ici, et ) et l'Arabie Saoudite, avec laquelle les relations sont tendues depuis les années 7, du fait de la crainte saoudienne de se retrouver entre deux pays sous l'influence nassériste, puis crainte de l'expansion du communisme). Il doit toutefois composer avec le courant islamiste yéménite (al Islah, "la réforme"), qui reste puissant, regroupant une frange islamiste "dure" et les représentants du système tribal. Le pays est aujourd'hui plongé dans une situation difficile, avec une pauvreté importante (PIB par habitant de $350), et une économie déséquilibrée, due notamment au manque d'eau (à l'origine de conflits au nord), à l'expansion du qat et à un déficit naturel de production poussant à une importation de masse. L'Arabie "Heureuse" confirme ainsi sa réputation de pays présentant un "grand potentiel de complications"...

Welcome in Sana'a


10 juillet 2009. Un an après que PPDA ait présenté son dernier JT, c'était donc à mon tour d’effectuer un grand saut, vers un univers complètement inconnu bien que longuement étudié. D’aucun parleraient de débuts tonitruants. Départ d’abord avec Yemenia Airlines : sensations assurées une dizaine de jours après le crash aux Comores. Après une heure et demi de retard, dont une bonne demi heure passée sur le tarmac, devant l’avion en question et une fourgonnette de gendarmes à la présence toujours rassurante, décollage vers le royaume de Saba.

Arrivée à Sana’a vers 19h, et départ dans deux pick-up à destination de l’institut. Et là, c’est le drame. Une moto profite des embouteillages et de la conduite anarchique yéménite (Paris n’a plus à rougir) pour prendre une valise à l’arrière du pick-up.

Bref, c’est à ce moment que débute l’aventure, la vraie… Arrêt devant ce qui semble un commissariat pour faire une déposition. En toute logique, nous repartons avec un gardien d' hôpital, sorti de nulle part, Glock dans la djellabah, qui nous amène au commissariat. Imaginez vous à cet instant dans un pays dont vous ne comprenez absolument pas la langue, dans lequel vous venez de débarquer, dans un environnement qu’on vous a décrit, (description confirmée dans un premier temps) clairement hostile.

Grand moment avec la découverte de la police yéménite, la vraie: une porte quelconque, annoncée par une guérite en bois moisi. A l’intérieur un garde, une kalachnikov datant au moins de Stalingrad posée en évidence sur les genoux, vous faisant de grands sourires bienveillants. Enfin...Rien à côté de l’intérieur du commissariat. Un couloir sombre, dont on ne voit pas le sol si ce n’est des morceaux de verre ou de vieilles bouteilles en plastique. De chaque côté, de grandes portes en bois, avec de petits judas : « c’est quoi ? » « oh…ça doit être des boutiques » dixit le staff de l’institut ; en fait des prisons, ce qui renforce encore, si tant est que cela soit possible, la perception d’un endroit sordide et glauque au possible. Après quelques errements, montée d'un escalier étroit pour finalement entrer dans un bureau, vide, orné d'une photo du président, une simple table au milieu de la pièce.

De l’autre côté de la table, un officier mâchant du qat (imaginez vous simplement une énorme boule de feuilles séchées agglomérée dans sa joue), boule ne l’empêchant en aucun cas de parler et de faire son boulot le plus sérieusement du monde. S’ensuit alors la saisie de la déposition, sur une feuille de cahier normal, sous laquelle est placée du papier carbone pendant une vingtaine de minutes. Départ pour un autre bureau, un autre officier avec une joue complètement déformée par le qat tente de téléphoner à un témoin… Arrivée à l’institut vers 21h, complètement dépassé après deux bonnes heures dans un commissariat, entouré de kalachnikovs, de djambiya et d’un patchwork de djellabas et de treillis, et ce sans avoir compris le moindre mot.

Après ces émotions, la première nuit se voulait donc reposante. En fait non. N’ayant aucune expérience jusqu’alors des pays musulmans, l’aube et l’appel à la prière du muezzin me réveillaient bientôt. Bienvenue à Sana'a donc...

Message aux handicapés informatiques (oui Margot, toi) : les mots soulignés dans les messages sont des liens, il faut donc cliquer dessus.

Je mettrai en gras les liens vers les photos.