samedi 7 novembre 2009

Parenthèse libanaise


La fin du ramadan et l’Eid accordaient quelques jours de vacances et la possibilité de partir pour le Liban et Tripoli. Si le voyage en lui-même fut un échec global, la faute à un temps peu clément et à un « ami » hôte complètement débile, l’occasion se présenta tout de même de découvrir ce pays paradoxal, à la fois proche et si différent de la Syrie, déchiré mais riche et puissant, en apparence au moins.

Il est de fait possible de faire deux lectures diamétralement opposées du pays (tout au moins tel fut mon sentiment). Passez l’Anti-Liban et ne relevez pas les différents barrages militaires peints et frappés du cèdre et des couleurs locales, comme pour réaffirmer une fragile unité nationale ici symbolisée, et le sentiment de sérénité émanant de ce massif montagneux vous subjuguera. Un premier passage à Beyrouth, le temps de changer de taxi pour vous diriger vers Tripoli, et vous aurez l’impression de traverser une capitale européenne, tout au plus amusé par de vieilles Mercos à moitié rouillées reconverties en taxis sortis d’une autre époque.

La traversée de Tripoli vous laisse le même sentiment, circonspect à la vue d’un carrefour sur lequel trône l’inscription « Allah » en arabe, gravées dans d’imposants caractères, à 10 mètres d’un KFC et à deux rues d’un Mac Do. Une soirée dans la zone portuaire et un quartier commerçant à moitié vide produit ensuite une forme de calme imperturbable, à un kilomètre d’un quartier en pleine reconstruction et aux routes aux allures de gruyères géants après les bombardements de 2006. A quelques centaines de mètres, la vie a repris son cours, et d’autres Mercedes, plus récentes celles là, s’affrontent dans des rodéos dignes de GTA.

Il est alors aisé de se laisser aller à considérer un Liban riche et en pleine expansion économique. Impression confirmée par la multiplication de panneaux publicitaires promouvant produits de luxe et ouvertures de city malls dans les faubourgs de Beyrouth. On a alors l'étrange impression de traverser un pays sans identité, fade et perdu dans ses propres paradoxes. Puis on traverse Beyrouth sans passer par le centre ville, où barbelés et trous béants se font concurrence. Et on atteint les quartiers sud de la ville, dont la pauvreté, en rupture avec les premières images de Beyrouth, frappe dans un premier temps, sans toutefois choquer. L'oeil attentif ne saurait en revanche manquer les façades criblées de balles, qui rappellent un passé proche qu'on serait parfois tenter d'oublier. On passe alors devant un bâtiment imposant, siège d’Al Manar, et ressent quelques centaines de mètres plus tard, et pour la première fois, une forme d’identité vivante, de foi en quelque chose. On est alors au beau milieu du fief du Hezbollah.

Direction Sour, ou Tyr. La traduction fait ici plus sens qu’un nom arabe suscitant des image de douceur paisible. A mesure que l’on approche de Tyr, dernière grande ville avant la frontière méridionale du pays, les camps militaires se multiplient, secondés de barricades, de drapeaux libanais, du Hezbollah et d’Amal, et de posters de Nasrallah. La première image de Tyr peut être celle de gens se promenant dans une tranquillité absolue en bord de mer. Ou la vue d’un tank de l’ONU dirigé par les forces sud-coréennes. Un peu plus loin, le passage d’une R5 tunnée rappelle la Mère patrie, le Nord et le Jacky Tuning Club. Puis la R5 repasse, et entre les basses poussées à bloc retentit un discours enflammé de Nasrallah, technique moderne d’entertainment politique en somme. Le long d’une plage, le sentiment de sérénité reprend son cours, la jeunesse locale marchant le long d’une croisette à la sauce libanaise. Sentiment vite balayé si l’on s’aventure à lever les yeux vers les immeubles avoisinants. Les couleurs méditerranéennes de ces buildings sont par endroits discontinues, délimitant d’immenses trous bouchés à la hâte à grands apports de bétons. Preuve s’il en est besoin d’une sérénité passagère, et de perspectives d’avenir serein plus que limitées.

Le centre ville de Beyrouth confirme cette identité paradoxale, déchirée mais tendant à vivre dans le faste, avec une mosquée Hariri se rapprochant de Disneyland, un immonde tour Rolex et un centre ville bétonné, à l’accès restreint, à des années lumières des autres aperçus du pays. Dans le minibus nous ramenant à Tripoli, un vieux militaire nous met en garde « ici, même quand vous êtes en confiance, ne parlez pas, contentez vous d’écouter, on ne sait jamais ». La preuve en image une seconde plus tard, alors que notre interlocuteur évoque à tour de rôle Saad Hariri, Nasrallah et le Hezbollah, mais aussi les dirigeants syriens. Quelques regards pleins d’interrogations se tournent alors vers nous. Il est des mots clés qu’on évite de prononcer ici comme ailleurs, qui plus est dans une langue étrangère.

La fin du voyage nous voyait repartir des hauteurs de Tripoli vers Tartous et la Syrie, dans une Mercedes roulant au rythme de Fayrouz et des rires des chauffeurs, à quelques kilomètres d’affrontements fratricides entre villages chiites et sunnites. Déçu d’avoir vu si peu, mais certain de revenir dès que possible.

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