samedi 25 juillet 2009

Perceptions


"Sarkozy, like Bush, no good. Chirac, wonderful".

Croisé au détour d'une rue, par hasard, au cours d'une ballade qui nous voyait perdus dans la vieille Sana'a, un ancien pilote de chasse de l'équivalent yéménite de la RAF me résumait de cette manière, brève mais concise, le point de vue yéménite sur la scène politique internationale.

On serait tenté de dire oui. En émettant néanmois quelques doutes sur les réalisations de notre WonderfulJacques. Rien d'étonnant finalementeut égard aux différentes initiatives (je vous accorde qu'initiatives et Chirac puissent sembler antonymiques) prises par Chirac au du Moyen Orient, notamment le refus de participer à l'offensive en Irak ("good for everybody"). Ici comme à Ramallah, le chiraquien est donc une espèce appréciée, bien qu'en voie de disparition. A l'inverse, le partisan de notre Inutilissime Nabot ferait bien, une fois n'est pas coutume, de taire ses préférences politiques. "Like Bush", il apparait difficile de faire plus explicite. Car oui, coup dur pour le moral de Nico, et motif d'exaspération nationale supplémentaire, la France est ici perçue comme la marionnette des Etats Unis de Bush depuis son couronnement. Vous pouvez toujours dire que vous êtes encartés au PS par contre: ici comme en France ça n'a aucun sens ni incidence et tout le monde s'en tape. Les restes de la scène politique française restent quant à eux globalement obscurs. Globalement, les sujets politiques sont de toute façon très peu débattus entre étrangers et yéménites...

Actuellement, le français a d'autant moins la côte que se répand l'idée selon laquelle l'avion de Yéménia s'est crashé après avoir essuyé des tirs hasardeux de la marine française. Gros titres dans la presse la semaine dernière : "Blame the French". Si ce qui n'en est qu'au stade d'affabulation délirante s'avérait être vrai, alors nous Français avons de quoi être fiers. Deux siècles après Trafalgar, avec nos porte-avions poubelles et nos tirs aux pigeons, nous allons à nouveau être craints sur les mers.

Il est à l'inverse intéressant de noter qu'à l'instar de Sarkozy, "Obama like Bush too". Nouveau coup dur pour l'optimisme occidental. Malgré des promesses probantes (celle de ne plus faire de chèques en blanc à Israël par exemple) et des discours écoutés et entendus comme celui du Caire, le nouveau président américain aura fort à faire pour redorer le blason de sa nation. La politique de son prédécesseur a fait un tel tabac au Moyen Orient qu'il faudra probablement plusieurs décennies (ou un geste fort à l'encontre d'Israël, qui ne saurait arriver) à Obama et ses successeurs pour rétablir l'image américaine dans cette région du monde, si tant est qu'ils en aient la volonté, ou la capacité d'ailleurs. En attendant, le tryptique Bush=Sarkozy=Obama est un verdict dur à assumer pour ce dernier.

"En tant qu'ONG, nous nous devons de faire le lien entre le local et l'échelon supérieur : nous agissons donc au niveau du monde arabe et au niveau international"

Un mot donc sur l'identité arabe, et sur l'identité musulmane, qui ici se superposent (tout au moins géographiquement). L'identité arabe est ainsi considérée comme une forme de foulard rouge déjà beaucoup trop agité par les leaders politiques arabes pour servir des intérêts nationaux; mon interlocuteur s'empressait ici de citer Nasser. L'identité, et l'unité arabe a toutefois longtemps fait sens au Yémen, notamment au Nord, qui formait, bien qu'on tende à l'oublier, la République Arabe Unie avec la Syrie et l'Egypte en 1958. Et finalement, si l'on tend à considérer au sein des élites yéménites que la scène nationale ne s'arrête pas à la frontière saoudienne mais aux frontières fluctuantes d'un "monde arabe" aux contours incertains, ce concept-repère perd peu à peu de sa crédibilité, perçu comme un instrument de manipulation de la population.

L'identité arabe reste toutefois une donnée implicite, que chaque yéménite, et par extension chaque arabe, porte en lui comme une valeur intrinsèque, mais cette donnée n'a plus la dimension mobilisatrice qu'elle a pu avoir. Cette capacité de mobilisation semble désormais être l'apanage des porte-voix de l'identité musulmane, qui serait désormais perçue comme plus pertinente pour envisager le sentiment d'unité des pays du Machrek et de la Péninsule Arabique. NB : le point de vue ici exposé est celui entendu lors de différentes discussions avec des "élites" yéménites; ma capacité à parler de tels sujets avec quelqu'un ne parlant qu'arabe reste pour le moment limité. Or personne ne parle anglais/français ici, élites mises à part donc.

Voilà, rapide tour de ce que les gens pensent et perçoivent ici. A noter que pour un pays présenté dans les médias comme une dictature sanguinairo-terroriste, le débat politique est particulièrement vivant, ou le semble tout au moins. Rares sont les murs en dehors de Sana'a à ne pas être frappés des symboles politiques des deux partis nationaux; deux chevaux cabrés se faisant face pour le parti du président (General People's Congress, al-Mo'tamar ash Sha'by al-'Am), et un soleil rayonnant évocateur pour le parti islamiste réformiste (al Islah). Si la discussion politique reste inaccessible pour un étranger (aucun sens à demander à un chauffeur de taxi ce qu'il pense du président, il ne vous répondra pas), il est amusant, intéressant, de mesurer l'engouement populaire généré par le débat politique. Cet engouement étant (lui aussi) en voie de disparition en France...

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